jeudi 30 juin 2016

Henry Cuny parrain du Premier festival du cinéma arménien à Nice

Henry Cuny parrain du Premier festival du cinéma arménien à Nice

Ouverture du Festival du cinéma arménien de Nice Introduction de Henry Cuny, écrivain, ancien ambassadeur de France en Arménie -5 juin 2016.

****** C’est une surprise pour moi d’avoir été choisi pour parrainer ce premier festival niçois du cinéma arménien. J’y vois bien sûr une marque d’amitié des organisateurs. J’y vois aussi la pérennité du lien qui m’attache à l’Arménie depuis les cinq ans qu’a duré ma mission comme représentant de la France dans ce pays, de 2002 à 2006. C’est tout à la fois un honneur et un plaisir.


Henry Cuny


Le plaisir de vous accueillir, chers amis Niçois, dans une ville qui est pour moi devenue d’adoption, puisque elle a été le premier lieu de mes vacances depuis l’âge de 17 ans (je vous laisse calculer). J’y suis resté fidèle, comme vous le voyez, à l’heure de la retraite.

Le plaisir d’accueillir pour cette projection unique du film d’ouverture -1915 - l’actrice principale Angela Sarafyan qui incarne ce que j’ai appelé dans « l’âme d’un peuple » « l’élégance racée des jeunes Arméniennes », leur courage et leur talent. Mais aussi les deux coréalisteurs Garin Hovannisian et Alec Mouhibian ; Garin Hovannissian étant le fils de l’ancien ministre des Affaires étrangères Rafi Hovannissian qui est, aujourd’hui encore, un acteur important du débat démocratique en Arménie, que j’ai bien connu et avec lequel j’ai beaucoup échangé durant ma mission d’ambassadeur.

Mais un honneur surtout, celui de porter un instant le flambeau de cette culture millénaire que j’ai eu l’occasion d’approfondir durant mon séjour et au cours de la préparation de l’année de l’Arménie en France en 2007 dont je disais à l’époque : « il n’est pas outrecuidant de consacrer, après ces continents que sont la Chine et le Brésil, une année à l’Arménie, dont la géographie, réduite à la portion congrue par les vents contraires de l’histoire, demeure dépositaire de l’épopée d’un peuple. L’Arménie nous apprend que chaque nation est indispensable au monde, que notre méconnaissance de l’autre est une ignorance de soi, que tout génocide est une amputation de nous-mêmes ».

Car je vois bien le risque pris avec ce titre laconique « 1915 » : « L’Arménie, diront certains, ne se renouvelle pas ; la culture arménienne reste figée dans le souvenir, la commémoration ».

Double erreur : je puis témoigner, pour avoir beaucoup voyagé de par le monde, que l’art arménien est un des plus créatifs qui soient et peut s’enorgueillir d’une vitalité peu commune ; mais encore que la revendication de la reconnaissance du génocide a peu à voir avec une volonté de s’enfermer dans des sentiments turcophobes mais participe de la nécessité subconsciente de démontrer que l’Arménie, pays miraculeusement rescapé des naufrages de l’Histoire, à commencer par ceux des empires qui l’avaient engloutie, se veut le témoin d’une histoire sacrée, d’une seconde genèse de l’Humanité depuis les temps de Noé.

De mon bref essai « Arménie, l’âme d’un peuple », la Ministre de la Culture Hasmik Poghossyan, qui a tenu à le préfacer, a retenu cette phrase : « L’arménité réside dans le dépassement des apparences. Si elle n’était dictée que par le sang, elle aurait depuis longtemps été submergée par le sang. L’arménité me paraît être plutôt une démarche millénaire de l’intelligence. » Il y a dans la langue arménienne un temps du passé qu’on appelle précisément le temps du témoignage. Je dis quelque part : « Si Israël est le peuple élu, l’Arménie est le pays témoin ». Témoin, c’est sans doute modeste, mais c’est tout aussi grand. 

EAN 9782917329856, Editions SIGEST


****** Refuges arméniens... Le titre nous interpelle. Est-il bien à propos ?
Qu’est-ce qu’un refuge ? C’est, nous dit le dictionnaire, « un asile, un lieu où l’on se retire pour être en sûreté ». Mais les Arméniens se sont-ils jamais sentis en sûreté quelque part ? Au cours des trois mille dernières années de leur histoire, celle qui est référencée par des dates, des événements, des inscriptions dans la pierre, plus tard des khatchkars aux portes des églises ou à l’entrée des cimetières, ils n’ont fait qu’être ballottés entre d’immenses empires rivaux et de résister aux envahisseurs, par les armes et la vaillance autant qu’ils le pouvaient, par la foi et la persévérance quand ils étaient vaincus par la disproportion des forces ennemies.
Un refuge c’est aussi, précise le dictionnaire, « un abri en montagne ». Et cela, l’Arménie l’a toujours été : qu’il s’agisse de ces défenses naturelles inexpugnables où les souverains ourartiens tinrent tête aux rois d’Assyrie, cette haute muraille du Taurus arménien qui protégea le royaume de Van des menées d’Assour, ou du Nagorny Kharabagh qui fut longtemps le dernier refuge d’une population arménienne qui ne voulait pas renoncer à sa liberté, à son identité.
Car le mot refuge prend aussi un sens plus large quand il est en apposition d’un autre mot, le plus souvent valeurs refuges, au pluriel. Et c’est précisément autour de et par ses valeurs que l’Arménie a survécu à ses engloutissements successifs.
Alors, oui, refuges arméniens, au pluriel, est bien le titre qui convient. Il colle parfaitement à l’épopée du Musa Dagh qu’il évoque puisque c’est à flanc de montagne que les Arméniens du Musa Dagh ont tenu tête durant plus de 50 jours aux troupes ottomanes d’une écrasante supériorité en hommes et en armement. Il colle au sort de cette poignée de descendants des rescapés du génocide de 1915, revenus dans leur village de Vakif par fidélité à eux-mêmes, et qui vivent aujourd’hui sous la menace de Daesch, des répercussions de la guerre civile en Syrie et de la montée du fondamentalisme au sein des communautés sunnites alentour.
Mais le titre refuges colle plus encore à ces navires français qui évacuèrent les résistants du Musa Dagh promis à une mort certaine et que la France accueillit au nom précisément de ces valeurs refuges dont elle a fait sa devise : liberté, égalité, fraternité. Point d’ancrage de cette amitié unique entre la France et l’Arménie. Je pense comme le Général de Gaulle qu’un pays, plus encore une grande nation, n’a pas d’amis, seulement des partenaires ; mais j’y apporterai une exception, celle de l’amitié franco-arménienne car c’est une évidence pour le monde entier.
D’une certaine manière je pense que, par un renversement de l’histoire, ces villageois de Vakif que nous allons découvrir dans le film de Mathieu Proust sont, comme les autres chrétiens d’Orient, devenus à leur tour le refuge des valeurs que nous défendons.

**** Lors de l’ouverture de ce festival du cinéma arménien, le 5 juin dernier au cinéma Mercury, je terminais mes quelques mots d’introduction sur cette réflexion tirée de mon essai - Arménie : l’âme d’un peuple - « si Israël est le peuple élu, l’Arménie est le pays témoin ».
Le film qui nous est présenté ce soir et que je vais découvrir avec vous - Les chemins arides d’Arnaud Khayadjanian - illustre parfaitement ce propos. Un film tourné en Turquie, sur la terre de ses ancêtres rescapés du génocide de 1915. Comme le film d’ouverture - 1915 - il s’agit donc d’un film sur la mémoire d’un peuple, le peuple arménien.
Si l’on y réfléchit bien l’Arménie, longtemps souterraine, engloutie dans la toute- puissance ou l’anéantissement d’empires qui ne sont aujourd’hui que des noms oubliés sur nos atlas historiques : mède, achéménide, perse, séleucide, parthe, sassanide, byzantin... plus près de nous ottoman, hier encore soviétique, l’Arménie disparue de la carte du monde pendant un millénaire, évanouie, n’a été que mémoire. La mémoire est l’élément constitutif de l’ADN arménien, le secret fragile et impérissable de sa survie.
Et ce sont les témoins qui transmettent la mémoire d’âge en âge : une mémoire déjà consignée par le premier historiographe arménien, Moïse de Khorène, dont les descriptions enthousiastes des palais de Sémiramis sur le bord du lac de Van poussèrent les orientalistes du XIXè siècle à entreprendre des recherches in situ et à découvrir qu’il avait effectivement existé au IXè siècle avant Jésus-Christ une reine de ce nom dont parlaient toujours vers 1850 les villageois des contrées avoisinantes. Mémoire orale à l’unisson d’une mémoire écrite.
C’est la même démarche qui pousse l’auteur de ce film à aller interroger les pierres et les ombres en Turquie : car si les chemins de la mémoire sont parfois arides, les ruines ne le sont jamais. Elles sont souvent plus disertes que les hommes. Et je suis certain que, dans mille ans, on parlera encore de ce qui est arrivé là, il y a pour nous cent ans, de la mécanique implacable de l’Acte exterminateur, de cette Apocalypse où, comme le dit Saint Jean, le fleuves furent changés en sang. Selon Saint Jean, une étoile tombe dans les eaux et les eaux s’empoisonnent. Mais le poison n’est pas le sang, le poison est l’occultation de la mémoire.
Pourtant il y a aussi un autre message dans le film que nous allons voir. C’est le premier film traitant explicitement du génocide tourné avec l’accord de la Turquie qui a accompagné le tournage de force gendarmes pour assurer sa sécurité et sans doute pour le surveiller. C’est aussi un film qui dit que dans toute Apocalypse il y a des anges de lumière, des Justes qui sauvent d’autres Justes. Il n’y a pas d’Empire du Mal, il n’y a que des nations ou des hommes qui se cherchent. Espérons qu’ils se trouveront avant 1100 ans.


Le film d’ouverture s’achevait sur une main tendue. Puisse celui-ci contribuer à rapprocher les mémoires !



source : http://www.armenews.com/article.php3?id_article=128436